Jacob Luamanuvae : une vie en 3 dimensions
RĂ©fĂ©rence en matiĂšre dâanimation 3D, reconnu aujourdâhui internationalement (il a notamment fait toute la modĂ©lisation des visages sur Avatar), Jacob Luamanuvae ne sâarrĂȘte jamais de se lancer de nouveaux challenges avec pour ambition de raconter, au travers de son propre film, les mythes et lĂ©gendes maori et en particulier lâhistoire de MÄui-tikitiki. Interview.
Â
Â
Comment est nĂ©e ta passion pour lâanimation ?
Jâai grandi Ă Invercargill[1], Ă l’extrĂ©mitĂ© mĂ©ridionale de l’Ăźle du Sud de Nouvelle-ZĂ©lande, derniĂšre escale pour les bateaux en partance pour lâAntarctique. Ma passion pour le dessin est nĂ©e dâĂȘtre enfermĂ© toute la journĂ©e Ă cause du froid. En parallĂšle, les films mâont toujours fascinĂ©, spĂ©cialement les « Star Wars » et autre « Choc des Titans ». CâĂ©tait un univers complĂštement Ă©tranger pour un gamin de chez moi : Hollywood Ă©tait Ă des annĂ©es-lumiĂšre. Je pense que lâanimation est venue dâun mĂ©lange de tout ça. [âŠ] JâĂ©tais bon en art Ă lâĂ©cole, mais je ne savais pas que lâon pouvait en faire son mĂ©tier et en tant que fils dâimmigrĂ©s samoans, je ne pouvais pas dire Ă mes parents que je voulais mâorienter sur cette voie : ils voulaient que jâaie une bonne situation, que je devienne docteur, avocat, ou fonctionnaire ; ma mĂšre avait cette idĂ©e quâen tant quâartiste, on ne devenait riche quâaprĂšs sa mort. Mais aprĂšs deux annĂ©es gĂąchĂ©es en psychologie Ă Canterbury, je me suis finalement dĂ©cidĂ© Ă amener mon pĂšre Ă une exposition dâart pour lui prouver que lâon pouvait aussi avoir une bonne situation, voire gagner autant dâargent quâun mĂ©decin, dans le monde de lâart. Ăa lâa convaincu. Jâai donc quittĂ© la fac avec sa bĂ©nĂ©diction.
Â
Pour faire ?
De la communication visuelle, du dessin anatomique, de lâillustration, de la sculpture⊠Jâai commencĂ© par apprendre Ă me servir dâun ordinateur. Ce faisant, jâai fait des travaux de design et les clients ont commencĂ© Ă me reconnaĂźtre une « touche pacifique ». Petit Ă petit, jâai eu de plus en plus de clients et jâai finalement quittĂ© mon cursus avant dâavoir mon diplĂŽme pour crĂ©er ma sociĂ©tĂ© « Giant Squid ». Le boulot mâa ensuite conduit Ă Auckland car câest lĂ quâĂ©taient la plupart de mes clients. Jâai commencĂ© Ă travailler dans la publicitĂ© et jâai ensuite Ă©tĂ© recrutĂ© par un chasseur de tĂȘte pour venir Ă Wellington, intĂ©grer une agence de pub, dans laquelle je servais un peu, du fait de mes origines, de lien avec les peuples du Pacifique pour accrocher les marchĂ©s spĂ©cifiques. Petit Ă petit, je me suis mis Ă crĂ©er des publicitĂ©s pour la tĂ©lĂ©vision. Et en 2000, Ă lâĂ©poque oĂč Peter Jackson sortait son premier Seigneur des Anneaux, jâintĂ©grais une petite compagnie qui faisait une sĂ©rie dâanimations sur les mythes et lĂ©gendes maori. Jâai commencĂ© Ă y travailler en tant que designer conceptuel. Quand mon contrat est arrivĂ© Ă terme, je venais la nuit au studio pour apprendre la modĂ©lisation 3D. Par la suite, avant que mon contrat de modĂ©lisation 3D ne prenne fin, jâai appris lâanimation 3D⊠Jâai passĂ© beaucoup dâannĂ©es sans dormir mais jâai acquis suffisamment de technique pour crĂ©er une maquette de dĂ©monstration de mes travaux. La petite compagnie dans laquelle je bossais a fermĂ©. Jâai senti que jâavais lĂ une opportunitĂ©. La suite a Ă©tĂ© une association de chance, bon timing et dâun minimum de contacts : je suis allĂ© frapper Ă la porte de chez Jackson et jâai Ă©tĂ© embauchĂ© en 2002 en tant que « rotoscopeur »[2] sur le deuxiĂšme volet du Seigneur des Anneaux, « Les deux tours ».
Â
Et petit Ă petit, tu as gravi les Ă©chelonsâŠ
Je suis effectivement parti du bas de lâĂ©chelle. Jâai fait mes preuves pendant six mois et jâai intĂ©grĂ© en 2003, pour « Le retour du Roi », le dĂ©partement de « performance dâacteur en animation ». Ă partir de lĂ , je me suis spĂ©cialisĂ© en mocap (capture de mouvements). De 2004 Ă 2006, jâai ensuite Ă©tĂ© recrutĂ© pour travailler sur Happy Feet Ă Sydney, en tant que superviseur du dĂ©partement « motion edit ». Et aprĂšs cela, je suis retournĂ© en Nouvelle-ZĂ©lande. Lâavantage câest que je ne travaillais dĂ©sormais plus au tarif local : le fait dâĂȘtre allĂ© en Australie mâavait hissĂ© au rang dâartiste international. Câest lĂ quâen 2009, jâai Ă©tĂ© embauchĂ© pour travailler sur la modĂ©lisation des visages pour Avatar. Et lâannĂ©e derniĂšre, je me suis plus encore spĂ©cialisĂ© sur lâanimation du visage sur « Les Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne ». Maintenant, il me reste encore Ă travailler sur lâĂ©clairage et la composition. Tout ça avec pour objectif de maĂźtriser les processus de crĂ©ation dâun film afin de raconter ma propre histoire.
Â
Pouvoir observer diffĂ©rents processus crĂ©atifs, câest lĂ la connexion avec le FIFO ?
Ce qui mâa attirĂ© ici câest le fait que ce sont des PolynĂ©siens qui racontent leurs histoires. [âŠ] Quand jâĂ©tais gamin, le seul hĂ©ros de cinĂ©ma auquel jâai Ă peu prĂšs pu mâidentifier Ă©tait Bruce Lee, parce quâil Ă©tait un peu chinois. Je voudrais aujourdâhui pouvoir raconter une histoire polynĂ©sienne, celle de MÄui-tikitiki pour commencer, et voir des visages Ă peaux brunes hĂ©ros de films. [âŠ] JâespĂšre pouvoir rendre quelque chose Ă ma culture grĂące Ă mon travail et devenir une inspiration pour la jeune gĂ©nĂ©ration samoane.
Â
Outre des opportunitĂ©s professionnelles que le FIFO pourra peut-ĂȘtre tâoffrir et que tu pourras Ă©galement offrir aux jeunes PolynĂ©siens, que penses-tu que le festival peut tâapporter au niveau personnel ? Quâen attends-tu ?
Les films sur lesquels jâai travaillĂ© reprĂ©sentent des budgets pharamineux de plusieurs milliers de dollars. Jâai Ă©normĂ©ment dâadmiration pour les gens qui font des documentaires de qualitĂ© sans ce support financier, ces rĂ©alisateurs qui ont une passion enracinĂ©e pour raconter des histoires. Câest une sorte dâinspiration que jâespĂšre trouver ici.
Â
Manon Hericher
Â
[1] (Murihiki en mÄori, c’est-Ă -dire la queue de la baleine)
[2] La rotoscopie est une technique cinĂ©matographique qui consiste Ă relever image par image les contours d’une figure filmĂ©e en prise de vue rĂ©elle pour en transcrire la forme et les actions dans un film d’animation. Ce procĂ©dĂ© permet de reproduire avec rĂ©alisme la dynamique des mouvements des sujets filmĂ©s.