[FIFO 2020] Un festival engagé à porter la voix des Océaniens
La soirée de remise des prix du FIFO 2020 a eu lieu vendredi 7 février au Grand Théâtre de la Maison de la Culture. Une soirée qui a consacré le film Ophir de Alexandre Berman et Olivier Poller, le Grand prix du jury. Le palmarès met à l’honneur la décolonisation et l’importance de porter la voix des indigènes.
« L’Océanie n’existe pas. Elle existe quand les Océaniens se rencontrent ». Ce sont les mots de Wallès Kotra lors de la soirée de remise des prix de la 17e édition du FIFO. Avec Heremoana Maamaatuaiahutapu, il est à l’origine du festival. Depuis 17 ans, la Maison de la Culture accueille les océaniens pour une semaine de projections, de rencontres, de discussions passionnantes et constructives. « On est heureux de se retrouver et partager tout ça. Même si nous sommes petits, il est important que notre voix porte. Il est important que les responsables politiques portent cette petite voix du FIFO. Il faut nous aider à défendre notre région. » Lors du colloque des télévisions, l’ensemble des médias océaniens ont lancé un appel solennel aux chefs d’États et de gouvernements d’Océanie et au Forum des îles du Pacifique pour qu’ils participent à la création d’un fonds de soutien régional à la production audiovisuelle et numérique. Un moment important pour le festival et la région. Le ministre de la Culture, Heremoana Maamaatuaiahutapu, a également dit quelques mots pour remercier ceux qui étaient venus de loin et du Pacifique pour cette 17e édition. « Les tables rondes ont été très enrichissantes, j’ai appris beaucoup de choses durant ce FIFO mais comme d’habitude je n’ai rien vu. Comme on dit, c’est celui qui fabrique la savate qui est le moins chaussé. »
Ouverture à la fiction
La remise des prix s’ouvre avec le prix du marathon d’écriture. « Le FIFO est très gourmand. Chaque année, on essaye de mettre en place de nouveaux projets. Il y a 5 ans, on a initié un marathon d’écriture et depuis l’année dernière le scénario primé est réalisé puis projeté au FIFO », explique Miriama Bono, présidente de l’association AFIFO. Aux commandes de cette soirée, elle invite Sophie Blanc sur scène pour remettre le prix au scénario de L’Enfant roi de Kohai Limik. Il sera lui aussi réalisé puis projeté lors du prochain festival qui se tiendra du 6 au 14 février 2021. Sélectionné par le jury, le prix du meilleur court documentaire revient à Manus de Angus McDonald. Le film donne la parole aux réfugiés en mer qui arrivent d’Iran, d’Afghanistan ou encore du Soudan pour demander l’asile en Australie. Le gouvernement australien les parque sur île Manus, où la situation est dramatique et inhumaine. Mise en place par Pierre Olivier, qui a été longtemps délégué général du FIFO, la nuit de la fiction fait la part belle aux courts fiction. « Si le FIFO est avant tout un festival du documentaire on s’ouvre à la fiction », précise Miriama Bono. Le prix du meilleur court fiction a été attribué à Liliu. Il raconte le mépris des colonisateurs face aux coutumes des Samoans avec un jeu d’acteurs excellent. Le court fiction avait ouvert la 11e édition où un film avait été oublié. Le court métrage Go to Bac, prévu au programme n’avait pas été projeté. Pour s’excuser de cet oubli, il a été projeté lors de la soirée de remise des prix. Réalisée par Odile Dufant, il narre la mésaventure d’un kanak qui va passer son baccalauréat. Sa moto tombe en panne. Affolé il court emprunter la voiture de son oncle. A bord de la vieille bagnole, il file vers son destin. Mais rien ne va se passer comme il le voudrait… Le court métrage a été très applaudi du public.
Un palmarès révélateur
Avant de lancer les remises de prix, Eric Babier, président du jury, monte sur scène pour dire quelques mots sur de cette 17e édition et sur les membres du jury. « Les débats étaient très intéressants surtout lorsqu’on est entouré d’Océaniens alors que je ne connais pas la région. Chacun avait des choses à dire sur les films, chacun connaissait et exposait les problématiques de la région. Mais c’est un jury uni qui a pris des décisions unanimes ». Place justement aux remises de prix. Le premier prix spécial du jury a été attribué à Merata, How Mum Decolonized the Screen de Heperi Mita. Le fils de la protagoniste du film, une cinéaste néo-zélandaise qui a été la première femme maori à réaliser un documentaire sur les Maori, est ému. Le jeune homme rend hommage au FIFO : « on me disait que c’était un petit festival mais je n’ai jamais vu un tel support pour les films qui sont présentés ». The Australian Dream remporte le deuxième prix spécial du jury, remis par Jacques Vernaudon, membre du jury. « Ce film parle d’une trajectoire, celle d’un dieu du stade. A travers cette trajectoire, on découvre que là où il est, il peut défendre l’origine de son pays. Ce film est très bien écrit et très puissant ». Le producteur du film Nick Batzias rend hommage au FIFO. « De voir ce film reconnu ici est un honneur très particulier ». Paul Damien Williams, membre du jury et réalisateur du long-métrage documentaire Gurrumul, primé au FIFO 2019, remet le troisième prix du jury. Il revient à Ruahine : Story Into her Skin. « C’est un film qui a fait très forte impression au jury car il a un très grand cœur. Il raconte la grande tradition des documentaires d’observation, qui s’étend maintenant à cette région. Ce film démontre à quel point il est important de connaître sa famille et de savoir d’où l’on vient ». L’équipe du film n’étant pas là, le prix a été remis à une représente de Maori Tv qui a entonné un chant polynésien avec le public avant de quitter la scène. Un moment d’émotion.
Ophir fait l’unanimité
Place au prix du public. Et cette année, il revient à The Australian Dream. Un honneur pour le producteur qui sait à quel point ce prix est toujours très spécial pour les réalisateurs. Avant le moment tant attendu du Grand Prix, Miriama Bono rappelle l’objectif des équipes de faire durer le festival. « On essaye de donner un nouveau souffle, de le faire vivre. Je dois remercier Éric Barbier, ce soir, car nous avons eu beaucoup de discussions sur comment améliorer le festival ». Le président du jury rejoint ainsi la scène avec tous les membres du jury pour annoncer le Grand Prix 2020. La tension dans la salle du Grand Théâtre est à son comble. « Ce film a fait l’unanimité. Il a touché tout le monde. Il raconte la colonisation d’une certaine manière avec des émotions très fortes. Les réalisateurs ont réussi à obtenir des documents très spéciaux ». C’est Ophir de Alexandre Berman et Olivier Poller qui est consacré. L’émotion des réalisateurs est palpable, submersible. Alexandre Berman tente de parler avant de se laisser envahir par les larmes. « Ce film est le fruit d’un travail de très longue haleine. Il a pris 7 ans. On a beaucoup pleuré pour faire ce film, intervient le co-réalisateur Olivier Poller, On a beaucoup de respect pour ce peuple plein d’amour qui a tant donné à la planète. On leur a juste donné la parole pour partager cette histoire. C’est la première fois que le film est projeté et il fallait commencer ici au FIFO ». Le film revient sur la guerre oubliée de Bougainville en Papouasie-Nouvelle-Guinée et comment les Mélanésiens ont mené une révolution contre les formes anciennes et nouvelles de colonisation. Une problématique qui est au centre des documentaires projetés lors de cette 17e édition du FIFO. Aujourd’hui, plus que jamais, il faut continuer à porter la voix des peuples autochtones. Essentielle pour construire l’avenir, ensemble. C’est certainement là l’un des messages forts de ce FIFO 2020.
Suliane Favennec / FIFO 2020